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Les 95 ans du Festival de Cornouaille, entre tradition et modernité

Depuis près d’un siècle, tous les étés, le Festival de Cornouaille fait vibrer Quimper au son de la tradition bretonne. 95 ans de fête, donc, et presque autant d’interrogations et de réflexion sur l’équilibre délicat à trouver entre un patrimoine à préserver et à célébrer et une modernité à inventer...

PROPOS RECUEILLIS PAR MAIWENN RAYNAUDON-KERZERHO

Nous sommes en 1923, au début de l’automne, à Quimper. L’année précédente, Louis Le Bourhis a créé un évènement pour l’inauguration de son cinéma, l’Odet Palace. Il a invité quelques “reines” – ces jeunes femmes célébrées pour leur beauté dans des fêtes de villages voisins –, organisé des projections, des spectacles, un bal… Le succès a été tel que Louis Le Bourhis a décidé de fonder l’année suivante, ce 30 septembre 1923, une Fête des reines de Cornouaille. “On est après la Première Guerre mondiale”, décrit Igor Gardes, le directeur actuel du Festival de Cornouaille. “Les Bretons sont partis au combat avec leur gilet traditionnel et sont revenus la plupart du temps sans leur costume, avec des habitudes vestimentaires de la ville. Certains se disent qu’on a intérêt à préserver notre patrimoine, et notamment le costume.” On invite donc des reines du Pays bigouden, du cap Sizun, de l’Aven, qu’on réunit autour d’un banquet, en musique, dont les bénéfices vont à des œuvres de charité. Et on choisit une de ces jeunes filles, qui devient la première reine de Cornouaille.
Le 29 juillet prochain, une nouvelle reine de Cornouaille sera élue, quatre-vingt-quinze ans après la première. Alors, bien sûr, les critères de choix ont changé. Aujourd’hui, les postulantes sont des danseuses présentées par le cercle celtique (obligatoirement cornouaillais) auquel elles appartiennent. En plus du costume de mariée qu’elles doivent préparer et expliquer, elles ont également un mémoire à rédiger et à présenter à l’oral, portant sur un point de la culture bretonne, comprise au sens large : “Il peut aussi bien évoquer les femmes assassins dans la Bretagne du 19e siècle qu’une variété endémique de plantes sur les Glénan ou au Cap”, explique Igor Gardes.

L’appui de Pierre-Jakez Hélias

Avec entre douze et dix-huit candidates chaque année, 15 000 personnes qui assistent à l’élection et plus de 20 000 connexions au Facebook live qui permet de suivre l’évènement sur Internet, le succès des reines de Cornouaille ne se dément pas. Au fil des années, elles ne sont pourtant devenues qu’un élément de la manifestation qui s’étend désormais sur près d’une semaine, tous les ans, à la fin du mois de juillet. Le Festival de Cornouaille, 95 ans cette année, donc, est effectivement devenu un pilier du calendrier estival breton. S’il n’en est pas le doyen – le Festival des Filets Bleus de Concarneau est né en 1905 –, il est le seul qui se soit déroulé sans discontinuer ou presque pendant près d’un siècle.
La Fête des reines de Louis Le Bourhis se tient en effet jusqu’en 1937, avant d’être interrompue par la guerre. En 1947, elles reprennent et deviennent les Fêtes de Cornouaille. Une nouvelle équipe les relance, en leur donnant une autre ampleur. Pierre-Jakez Hélias, l’auteur du Cheval d’orgueil, en est, mais aussi Jo Halléguen, le maire de Quimper, Polig Montjarret, l’inventeur des bagadoù naissants, ou Hervé Le Meur, qui créera plus tard Keltia Music, le premier label breton dédié aux musiques celtiques. “Plusieurs choses se mettent alors en ordre de marche”, décrit Igor Gardes. “Les premiers comités de jumelage naissent, c’est le début des échanges européens. On invite à Quimper beaucoup de groupes folkloriques de l’Est, des Bulgares, des Ukrainiens, et on dit aux Bretons, aux cercles celtiques qui viennent de se former : Regardez leurs chorégraphies, peut-être qu’on peut aussi faire quelque chose avec nos propres danses et nos costumes. On rassemble les cercles et les bagadoù, on leur dit qu’il faut qu’ils se montrent sous un jour un peu différent, certes avec leur patrimoine mais en étant tournés vers la créativité, l’inventivité.”

Perturbé par les autonomistes

Un échange avec les pays celtiques est instauré, on organise également des concours – la Plume de Paon est aujourd’hui encore une des épreuves les plus convoitées par les sonneurs de biniou, cornemuse et bombarde –, les cercles se produisent sur scène, les
festoù-noz modernes se lancent… En 1951, plus de 2 000 participants défilent et on assiste à la naissance du Triomphe des sonneurs. Des milliers de personnes prennent part aux festivités.
“Le festival connaît des heures de gloire dans les années 1970, avec des retransmissions à la télévision, la présence de ministres…”, analyse le directeur actuel du Cornouaille. Mais l’évènement n’échappe pas aux débats qui agitent ces années bouillonnantes. Certains refusent de “défiler pour les touristes”, des manifestants autonomistes perturbent le festival, les sonneurs réclament et obtiennent le droit de concourir sans revêtir de costumes traditionnels…
Car, depuis ses débuts, le Festival de Cornouaille est traversé par cette interrogation, cherche un point d’équilibre délicat entre le patrimoine et la modernité, le folklore muséal et la création. Son directeur, Igor Gardes, en a fait une réflexion constante. Lui qui n’est pas Breton d’origine, qui est arrivé à Rennes pour un doctorat de musicologie avant de devenir administrateur du Théâtre de Cornouaille puis codirecteur de l’Orchestre symphonique de Bretagne, est conscient de l’image un brin vieillotte et désuète qui peut coller à la culture traditionnelle. “Vu de loin ou même de Rennes, le fest-noz, ça reste un truc de ploucs. Alors qu’aujourd’hui, en Bretagne, les groupes musicaux qui écrivent, qui inventent le plus, ce sont majoritairement des groupes de fest-noz. Et avec des horizons très larges ! On a des groupes de beatbox, d’électro, de hard-rock, qui font danser les gens comme on faisait danser les gens dans les années 1950 avec un biniou et une bombarde… Nous avons une culture extrêmement évoluée, mais le faire comprendre est complexe. Parce qu’on a des images fortes. On est Breton, donc forcément on a un Gwenn-ha-Du et on boit du cidre. Ce sont des marqueurs qui nous ont servis, ça fait partie de la marque Bretagne. Mais ce n’est pas que ça. Notre territoire est dynamique. À nous de le montrer.”

150 000 festivaliers

En suivant le mouvement des années 1980 et 1990, les Fêtes de Cornouaille sont devenues festival, à une époque où ni les Vieilles Charrues ni le Bout du Monde n’existaient. Il s’est ouvert à des têtes d’affiche nationales voire internationales, invitant par exemple cette année le chanteur Vianney.
Aujourd’hui, le Cornouaille accueille environ 150 000 festivaliers, pour une programmation à 80 % gratuite. Et son directeur aime égrener quelques chiffres : “Neuf artistes sur dix sont issus du territoire de Bretagne. Le festival représente 27 000 heures de bénévolat. Nous avons 1,3 M€ de budget, dont 40 % est issu de fonds publics. Mais un euro de subvention se transforme en plus de deux euros réinvestis. 96 % de nos dépenses se font sur le territoire…” Sans compter les retombées médiatiques puisque, aux côtés des faïenceries Henriot, d’Armor-Lux ou de l’architecture du centre-ville, le festival participe à construire l’image de la ville de Quimper, vue comme la véritable capitale culturelle de la Bretagne.
“Notre festival s’attache à être le catalyseur, l’endroit où on peut rencontrer la Bretagne, sous toutes ses facettes. Parce qu’on a un panel extrêmement large, qui va du fait culinaire, avec des démonstrations de chefs, à des stages de broderie. Et au milieu de tout ça, on a des musiciens et des spectacles. En même temps se côtoient des bagadoù et des cercles qui vont défiler dans leur costume, du gouren, des ateliers pour enfants… Quelqu’un qui vient ici comprend un peu mieux qui on est en Bretagne, qu’il y a des nuances et des différences, que le costume glazik n’est pas le costume bigouden, mais que toute cette inventivité se fait à l’heure de l’Europe et de la mondialisation. Ce qui fait que des musiciens bretons peuvent rencontrer des musiciens maliens, que le trad’ peut rencontrer le rock ou l’électro, et que tout ça est normal parce que c’est le quotidien, ici. La reine de Cornouaille est aujourd’hui en études d’ingénieure agronome, elle parle deux langues couramment, elle voyage, elle écoute toutes sortes de musique, et en même temps, elle apprend la danse bretonne à des enfants et s’intéresse à la broderie traditionnelle…”

 

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